2033 /
ARLA - UN REPOUSSOIR
Parole dite d’une voix entre deux âges, à l’oreille du voisinage rassemblé dans une clairière pour un atelier de partage d’expériences.
Plusieurs de nos amis ont milité sur la question du nucléaire civil et militaire pendant quelques années, en espérant y changer quelque chose, puis ils ont arrêté. Pourquoi ? Le premier, complètement désespéré et terrifié par le sujet, a d’abord trouvé dans sa propre peur, une raison de s’engager. Mais devant le manque de répondant local, la faiblesse de la mobilisation dans la région où il vivait, le désintérêt général de la population pour cette question, il a fini par baisser les bras. Il en parle comme s’ils avaient presque honte de brandir en centre-ville leur banderole à quelques-uns, surtout des ainés, de la génération de ses parents. Un autre, plutôt du genre sensible, m’a confié avoir failli sombrer dans la dépression la plus noire, à force de fréquenter le sujet, ce qui l’a conduit à s’en éloigner.
On avait pour la plupart du mal à s’y consacrer vraiment. Cela faisait peur, on avait l’impression de ne pas en savoir assez sur le sujet pour pouvoir s’exprimer et de s’engager aussi sur un terrain dangereux sur le plan professionnel. La peur d’être « black-listé » en effrayait plus d’un. Perdre ses sources de financement voire, son boulot, ses clients ! C’était comme s’attaquer à une mafia. On y réfléchissait à deux fois, plus on s’enfonçait dans la question plus on se fragilisait personnellement et professionnellement. En revenant de Bure il y avait cette impression d’être sur écoute, communication surveillées… c’est ça qui fait peur, d’abord, plus que le danger nucléaire lui-même. Il faut donc une dose de courage, de témérité, il faut un engagement fort et complet, non volatile pour se lancer sur un sujet pareil.
Dans la lutte anti-nucléaire il n’y avait pas grand-chose de joyeux, ni de festif. La mort qui rode partout autour, les arbres, le sol, les eaux, les corps irradiés, et les hélicoptères de la gendarmerie… On s’attaque à un énorme monstre, une bête tentaculaire qui nous implique nous aussi, dont en somme nous faisons partie, puisque l’Etat, c’est nous-même en un sens.
Les militants ont eu, sauf exception, du mal à s’investir longtemps sur la question nucléaire : pas seulement parce que c’était dur et éventuellement vain, mais aussi parce que cela les détruisait sur le plan émotionnel, plus que d’autres sujets. C’était mortifère. Ce qui opposait un troisième repoussoir à ceux qui s’approchaient de cette question : ceux et celles qui se sentaient capables de prendre des risques en arrivaient à une forme de radicalité en miroir de la violence à laquelle ils faisaient face. Cette noirceur émanait d’eux et elles aussi. Cela pouvait intimider quiconque commençait à s’intéresser à cette question.
Puis les choses ont changé. Et peu à peu on a été de plus en plus nombreux.